Bardella contre Libé : bataille juridique insolite autour d’un titre de presse

France Insolite Politique Une

Jordan Bardella poursuit en justice le journal Libération pour un titre jugé diffamatoire à son encontre, contrairement à l’article concerné.

Le tribunal judiciaire de Paris a été le théâtre, vendredi 31 janvier 2025, d’une audience peu commune opposant Jordan Bardella, président du Rassemblement national (RN), au quotidien Libération. La suite d’une plainte pour diffamation adressée au journal par l’homme politique d’extrême droite.

En cause, un simple titre d’article de presse libellé en termes suivants : « Jordan Bardella, l’assistant parlementaire fantôme passé entre les gouttes de la justice », et présentant une enquête menée sur les travaux prétendus d’assistants parlementaires menés par le président du RN il y a une dizaine d’années.

À l’époque, entre le 16 février et le 20 juin 2005, le jeune Bardella – 20 ans à peine – encore étudiant en Géographie à l’université avait été embauché pour servir d’assistant parlementaire à Jean-François Jalkh, député européen de l’ex-Front national devenu Rassemblement national, entre 2014 et 2020.

Une enquête journalistique minutieuse

Quatre mois et demi de travail à mi-temps alors rémunérés à 1 200 euros nets mensuels, dont les journalistes Laurent Léger et Tristan Berteloot n’ont pourtant retrouvé aucune trace.

Dans l’article incriminé, dernier volet d’une série de trois articles, publié sur le site internet de Libé le 26 septembre 2023, les auteurs dévoilent un faisceau d’indices accréditant la thèse d’une activité d’assistant parlementaire inexistante.

Il s’agit entre autres, d’un calendrier censé avoir été utilisé en 2015, mais commandé trois ans plus tard, d’une revue de presse comportant des traces de fabrication a posteriori, ainsi que d’un document interne mentionnant le « montage du dossier de Jordan Bardella » en décembre 2017.

« J’ai beaucoup travaillé sur le cas de Jordan Bardella depuis 2019, a expliqué le journaliste, mais cet article n’évoque pas encore les soupçons qui vont un peu plus loin. Il me faudra quatre ans pour trouver les documents qui établissent qu’il a fait monter un faux dossier pour prouver qu’il avait bien travaillé pour le Parlement et échapper aux poursuites », indique Tristan Berteloot à la barre ce vendredi.

Une stratégie juridique paradoxale

Ces découvertes vont d’ailleurs donner lieu à la publication d’un livre, « La Machine à gagner, révélations sur le RN en marche vers l’Elysée », aux éditions du Seuil en 2024. « L’article est inattaquable. Il est de très bonne facture, très bien écrit, les choses sont dites comme elles doivent l’être. Mais le titre ! », a déclaré Maître David Dassa-Le Deist, avocat de Jordan Bardella, dans sa plaidoirie.

Une admission surprenante symptomatique du caractère inhabituel d’une procédure ne visant que le titre. L’avocat a tenté de justifier cette approche en comparant les différentes versions du titre entre l’édition papier du journal, qui parlait « d’intermittent parlementaire », et la version en ligne, plus incisive.

« Parce que les titres dans l’édition papier sont plus courts, a rétorqué Tristan Berteloot, cité par Le Monde. Sur le site, on aurait pu écrire qu’il était “passé entre les mailles du filet”, mais c’est plus péjoratif. “Passé entre les gouttes”, c’est plus poétique… »

La défense de Libération, assurée par Maître Charles-Emmanuel Soussen, a souligné l’incohérence de cette démarche : comment examiner la diffamation d’un titre isolément de son contexte, quand l’article lui-même est reconnu comme rigoureux ? La procureure a d’ailleurs rappelé que la jurisprudence autorise « une dose d’exagération » dans les titres de presse, avant de requérir la relaxe.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.