En France, l’illusion du pouvoir législatif

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Face à un gouvernement pourtant minoritaire, l’Assemblée nationale peine à imposer son influence dans l’équilibre institutionnel français.

L’absence de majorité claire à l’Assemblée aurait dû renforcer le poids du Parlement. Pourtant, c’est l’inverse qui se produit : les députés se voient progressivement dépossédés de leur capacité à orienter l’agenda politique au service des citoyens.

Si les parlementaires conservent formellement leurs prérogatives de vote et d’interpellation, une réalité plus préoccupante émerge. Selon plusieurs témoignages recueillis par Le Monde au Palais Bourbon, le sentiment dominant est celui d’une institution qui s’active intensément, mais en vain, comme une « machine tournant à vide ».

« Le pouvoir a déserté l’Assemblée nationale, qui n’est plus un lieu de décision », estime d’emblée le député d’Eure-et-Loir Harold Huwart. Selon lui, l’Hémicycle est désormais submergé par une avalanche de « propositions de loi sectorielles » si étroitement liées au quotidien des Français qu’elles en deviennent « dérisoires ».

Il ajoute que certaines de ces propositions ne sont « même pas dignes d’un arrêté ministériel ». Ces propos font référence à la stratégie de contournement des blocages développés par l’exécutif et consistant à privilégier de nombreux petits textes plutôt que de grandes réformes.

Une assemblée dépossédée de son influence

Cela tient d’une logique politique dans un contexte de crise de confiance marquée entre le pouvoir exécutif et celui législatif. En fragmentant l’agenda législatif en de multiples petites propositions, le gouvernement évite des confrontations majeures qui pourraient mobiliser l’ensemble des oppositions contre lui.

Le Monde cite à cet effet quelques exemples comme des propositions sur « la fraude aux moyens de paiement scripturaux » ou « le développement raisonné de l’agrivoltaïsme« . Des sujets techniques qui, bien qu’ils puissent être importants pour certains secteurs, n’affectent pas la vie quotidienne de la majorité des Français.

« Nous ne sommes pas dans quelque chose qui correspond à la tradition démocratique et même républicaine, mais c’est la logique de la Ve République« , analyse l’historien Jean Garrigues dans les colonnes du quotidien du soir.

Cette logique institutionnelle permet au gouvernement, même minoritaire, de conserver « de très larges marges de manœuvre », comme l’explique le constitutionnaliste Benjamin Morel.

Un épuisement parlementaire généralisé

« On s’épuise, d’autant plus qu’on sait qu’on s’épuise pour rien« , témoigne toujours dans Le Monde, Elsa Faucillon, députée communiste des Hauts-de-Seine, qui voit rarement ses propositions aboutir.

Les élus courent ainsi de commission en séance plénière, tentant désespérément de peser autant que faire se peut sur l’agenda du gouvernement, notamment dans le cadre de votes sur des sujets potentiellement polarisants.

Certains députés souhaiteraient consacrer davantage de temps au contrôle de l’action gouvernementale, via les commissions d’enquête ou les missions d’information. Mais selon Benjamin Morel, « les moyens juridiques et d’expertise, le Parlement ne les a pas tout à fait ».

Il s’agit d’un sacré retournement de la situation alors que certains observateurs s’attendaient à une évolution des marges de manœuvre des députés après l’éparpillement des forces en présence à l’Assemblée, consécutif aux législatives de 2022 et de 2024.

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